Lizzie Doron su LE MONDE

Enfant de rescapés - Raphaëlle Rérollecapés - Le Monde

Sur un ton de confidence amusée, Lizzie Doron veut bien l'avouer : chez elle, il y a deux cuisines et trois réfrigérateurs. Juste "au cas où". Si jamais... la guerre, la famine, la terreur, elle connaît ça, même si c'est par mère interposée. A 54 ans, cette femme intensément vivante est la fille d'une rescapée d'Auschwitz. "Un cas typique de deuxième génération", remarque-t-elle en souriant, par allusion aux traces qu'a pu laisser la Shoah chez les descendants de ceux qui l'ont vécue. Alors qu'elle était chercheuse en linguistique à l'université de Tel-Aviv, il y a quelques années, elle a décidé de prendre trois mois de congé sabbatique pour mettre par écrit un certain nombre de souvenirs, à l'intention de sa fille. Ces textes, qu'elle n'avait pas l'intention de publier, sont devenus un récit à succès, merveilleusement fin, drôle et plein de vitalité.

"Nous vivions dans un quartier de Tel-Aviv où il n'y avait que des rescapés, se souvient l'auteur. Une sorte de shtetl, en quelque sorte, avec la mentalité du ghetto." Au côté d'une mère fantaisiste, hantée par ses morts et remplie d'humour, la petite fille assiste à des scènes inoubliables et apprend à aimer la vie. "Ma mère était une femme ouverte, libérale, qui m'a convaincue de la nécessité de lutter pour les droits de l'homme. Elle était persuadée qu'il fallait construire un monde nouveau."

Il y a de la tendresse et beaucoup de retenue, mais aussi de cocasserie dans ces chapitres rédigés de manière très simple. "Je n'ai pas l'imagination d'une romancière, mais je sais raconter", observe Lizzie Doron. Par les yeux de l'adulte qui se souvient, le lecteur découvre non pas le mal, mais l'ombre qu'il a projetée sur ceux qui ont souffert, les blessures en négatif qu'il a creusées, les abîmes qu'il a ouverts.